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Le ch'ti mi atterré

Quel millefeuille territorial ?

11 Avril 2015 , Rédigé par Rémi Matuszewski Publié dans #Réforme territoriale

L’expression de « millefeuille territorial » s’est répandue largement dans le débat public et n’est plus aujourd’hui re-questionnée, par paresse journalistique ou par souci d’aller dans le sens des préjugés de l’opinion publique.

La France a-t-elle réellement plus de niveaux d’administration que les autres grands pays de l’Union européenne ?

Oui et non.

Allemagne, Italie, Espagne, Pologne connaissent trois niveaux d’administration territoriale avec des communes, des régions et un niveau intermédiaire. Les états plus petits en ont la plupart du temps deux.

Qu'est-ce qui fait la spécificité de l'administration territoriale française ?

Ce n'est pas la taille des régions, pourtant redécoupées pour faire plus allemand.

Taille des régions en Europe (échelle de population logarithmique)

Taille des régions en Europe (échelle de population logarithmique)

Les Régions françaises étaient dans la moyenne inférieure des régions des grands pays européens. Elles constituaient globalement un bon compromis entre proximité et taille critique. La réforme initiée par Manuel Valls en fait les entités les plus importantes, derrière les « régions » britanniques (qui, sauf « nations » historiques – Ecosse, Pays de Galles, Irlande du Nord) ne sont pas des collectivités territoriales.

Cette évolution pose de nombreuses questions, mais surtout, elle tape à côté du "millefeuille" !

La France se singularise fortement par la taille de ses communes.

Les communes françaises constituent la "cellule de base" de la vie démocratique. Hormis les cas extrêmes de communes dépeuplées, voire totalement vides de population, qui sont quand même assez nombreuses en France (3500 communes ont moins de 100 habitants, la moitié a moins de 430 habitants !), elles constituent un bon échelon de représentation démocratique.

De fait, les pays européens qui ont des communes plus grandes que les nôtres connaissent des échelons de représentation (et non d’administration !) de base autour du quartier ou du hameau. Ce sont les Ortschaften en Allemagne et en Autriche, les frazione en Italie ou les freguesias au Portugal.

Taille des communes en Europe (échelle de population logarithmique)

Taille des communes en Europe (échelle de population logarithmique)

Mais les communes françaises ne sont pas, dans la grande majorité des cas, de taille à gérer les compétences que la décentralisation leur a confiées !

Qu'à cela ne tienne, on a inventé les intercommunalités, vraie spécificité française.

Ces structures existent en Espagne (mancomunidades), en Italie (consorzi, unione di comuni), en Allemagne (Gemeindeverbände), en Pologne (Związek międzygminny), mais n’ont dans aucun de ces pays une diffusion aussi large qu’en France, où la quasi-totalité du territoire national est couverte, et où ce sont des pans entiers de compétences du bloc communal qui sont transférés, pour des volumes financiers gérés considérables

Mais elles constituent aujourd'hui un sérieux déni de démocratie, fonctionnant avec des biais importants de représentation et une élection indirecte.

De fait, les intercommunalités françaises sont en moyenne beaucoup plus grandes que les communes des pays qui ont mis en œuvre des politiques volontaristes de fusions de communes, ce qui relativise l’intérêt d’un seuil de 20 000 habitants pour les communautés de communes, voulu par le gouvernement.

Elles sont elles-mêmes très hétérogènes, allant de 2 à... 131 communes regroupées (Communauté de communes de Haute-Saintonge) et dans la Région, de 5 (Calaisis) à 85 communes (Métropole lilloise).

Mais elles sont souvent trop petites ou trop... biscornues (avec un territoire fondé sur des compromis politiciens qui ne recoupe pas un bassin de vie pour la population) pour porter certaines compétences.

On a donc inventé les syndicats mixtes, intercommunalités au carré, et troisième étage d'administration.

Ces syndicats mixtes, gérés par des représentations politiques au 3e degré, ont été créés pour gérer :

- les transports publics (dans le bassin de Lens-Béthune, de Douai, ou encore de Valenciennes, ils ne peuvent être pris en charge par les intercommunalités morcelées),

- la planification urbaine (17 schémas de cohérence territoriale en Nord Pas de Calais sont élaborés par des structures regroupant plusieurs intercommunalités),

- le développement économique et l'aménagement du territoire, qui ont pu être pris en charge notamment par les pays, au début des années 2000, remplacés aujourd'hui par les "pôles d’équilibre territoriaux et ruraux" (c'est plus simple)...

La multiplication de ces structures, regroupements d'intercommunalités, continue d'être pour beaucoup dans la lourdeur du millefeuille français, malgré l'élagage qui a suivi la loi du 16 décembre 2010 et l'élaboration des schémas départementaux de coopération intercommunale.

Quant au département...

Donné pour mort, ce vieil échelon d'administration hérité de la révolution est encore vaillant.

Les Départements français sont en moyenne plus grands que les collectivités de niveau intermédiaire existant dans les autres pays européens.

Taille des collectivités intermédiaires en Europe (échelle de population logarithmique)

Taille des collectivités intermédiaires en Europe (échelle de population logarithmique)

Afin de répondre à un besoin de proximité et d’adapter les dispositifs aux spécificités locales, de très nombreux départements ont ressenti la nécessité d’un découpage de leur territoire et d'une territorialisation de leurs services.

Par exemple, le Département du Nord a découpé son territoire en sept bassins de vie, bases de la mise en œuvre de ses politiques (et notamment sociales) et territoires de planification et de contractualisation, se calquant en partie sur les périmètres des regroupements d'intercommunalités décrits plus haut.

Des pistes de simplification

En Allemagne, une même collectivité peut exercer les rôles de plusieurs niveau de collectivité, à l'instar des kreisfreie Städte (qui sont à la fois commune et Kreis - arrondissement), voire de Stadtstaaten (Berlin et Hambourg sont à la fois villes, Kreise, et Länder).

En France, seuls Paris (Ville et département), Lyon (métropole et département) et une partie de l'Outre-mer (Martinique et Guyane sont à la fois département et région) sont dans ce cas.

Une piste évoquée par les opposants au redécoupage régional était la possibilité de fusionner région et département en une collectivité unique, en Alsace, mais aussi en Nord Pas de Calais.

La réforme territoriale telle qu'elle est engagée éloigne ces perspectives de simplification :

- des grandes Régions rendent indispensable un échelon de proximité comme le Département (les grands Länder allemands sont découpés en Regierungbezirke...)

- des grandes intercommunalités de 20 000 habitants et de plusieurs centaines de km² légitime l'échelon de proximité qu'est la commune...

Une vraie réforme du "millefeuille" devrait reposer sur une réflexion sur les échelles, sur les territoires pertinents des différentes politiques locales, qui pourrait se décliner ainsi :

 

Bourg et Bassin de vie (rural)

Ville / Quartier (urbain)

Bassin d’emplois / « Pays » / Arrondissement ou Département (rural)

Régions

Proposition de définition géographique

Territoire défini par l’accès aux services de base

Zone de chalandise des commerces de proximité

Territoire défini par les migrations quotidiennes,

Aire d’influence d’une ville

Zone de chalandise des grandes surfaces et commerces spécialisés

Territoire défini par l'identité et/ou les liens de contrôle économique

Réseau de villes interdépendantes

Aire d’influence des grandes métropoles

Population

1 000-100 000 habitants

100 000-1 000 000 habitants

1 000 000-10 000 000 habitants

Echelon pertinent pour…

La participation des habitants

L’aménagement urbain, le cadre de vie

L’animation de la vie locale, les festivités, la vie associative

Les services de base à la population : état civil, poste, petite enfance, éducation du premier degré, médecin, lecture publique

Les infrastructures sportives de proximité

Planification urbaine : urbanisme stratégique et opérationnel

Organisation des déplacements

Voirie

Solidarité

Habitat, logement social

Les services publics de réseau : adduction d’eau, assainissement, élimination des déchets, électrification, haut débit

Accès aux biens culturels : musées, théâtres, salles de spectacles…

Tourisme

Infrastructures sportives lourdes : piscine, patinoire, sport de haut niveau

Aménagement du territoire

Schémas prospectifs et pouvoir réglementaire d’adaptation

Protection de l’environnement (parcs naturels)

Grandes infrastructures de transport : ferroviaires et aéroportuaires, fluviales, ports de commerce

Politiques économiques structurelles : aide à l’implantation d’entreprises, soutien aux clusters, recherche, politiques de formation

Infrastructures hospitalières

 

Nombre pertinent, pour la France

5 000 – 10 000

200 – 400

15 – 20

Formes institutionnelles les plus proches en France

Communes moyennes, « communes nouvelles », petites intercommunalités

Arrondissement (pour l’Etat), grandes intercommunalités, syndicats mixtes de SCOT, pays ou pôles d’équilibre ruraux et territoriaux, Départements (ruraux)

Régions avant redécoupage (pour certaines parties du territoire),

Régions après redécoupage (pour d’autres parties du territoire)

Chiche ?

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